Interdiction de Louis Chassepot de Beaumont, Chevalier

Sentence du 29 décembre 1750
Y4702/B

Il s'agit là d'un cas simple et assez typique. Les réponses de l'interdit aux questions de Lieutenant Civil, quoique qu'assez peu claires, laissent deviner de possibles difficultés conjugales, un thème qui apparait dans de nombreux dossiers.


La Requête

4 décembre 1750
 

Supplie humblement Madeleine de Baudelot, épouse de Messire Louis Chassepot de Beaumont, chevalier

Disante qu'elle a contracté mariage avec ledit Messire Chassepot de Beaumont au mois de mai de l'année 1743; que ledit sieur Chassepot de Beaumont ne tarda pas à lui donner des marques du dérangement de son esprit.

Dans les commencements, son aliénation se bornait à des murmures fréquents et journaliers contre certains religieux qu'il avait apparemment pris en aversion, et dont il avait été affecté. Dans ses moments de calme, quoique ses raisonnements ne fussent pas bien suivis, il faisait voir de la douceur dans son caractère, et marquait de la politesse à toutes les personnes qu'il voyait. La fréquence et la nature des accès ont augmenté par degrés, ses murmures ont dégénéré en menaces et en violences contre ses prétendus ennemis, qu'il s'imagine être présents. Il a souvent apostrophé et même insulté et menacé la Suppliante et les personnes de sa famille et de la maison de la dame sa mère chez laquelle ils sont demeurants ainsi que les autres personnes qui venaient leur faire visite.

La Suppliante a cru que le parti le plus convenable qu'elle avait à prendre était de gémir en secret sur son triste sort et d'en essuyer en silence l'amertume. Elle a employé tous ses soins à calmer ledit sieur son époux, et à dérober autant qu'il lui a été possible à la connaissance du public son état et ses extravagances.

Mais depuis environ deux ans il n'est plus possible de le contenir.Ses emportements sont violents et fréquents, non seulement dans sa maison où il se met dans des fureurs excessives, menace tout le monde, tire même quelquefois l'épée et jette dans des frayeurs cruelles la Suppliante et toute sa famille, et encore principalement une jeune demoiselle agée de neuf ans, fille dudit sieur Chassepot de Beaumont et de défunte dame Françoise Monnide de Conacquet [?] sa précedente femme, mais dans les rues et partout où il va. Il y a même à craindre pour la propre personne dudit sieur Chassepot de Beaumont, qui veut absolument sortir, et sortir seul, tous les jours. Il se fait montrer du doigt et hué par la populace.

Un jour, étant au jardin de l'Arsenal, assis sur un banc, il lui prit un accés. Il s'écria de toute sa force en disant "est-ce que je suis un bâtard?"Et s'étant levé, il apostropha une dame qu'il ne connaissait pas et qui se trouvait sur le même banc, en lui disant avec véhémence et colère, "suis-je donc un bâtard? Dîtes!" La dame se sauva effrayée. Il poursuivit tant cette dame que d'autres personnes qui se trouvèrent à son passage, en menaçant et tenant sa canne levée. On voulait fermer les portes et on l'aurait arrêté, si quelqu'un qui se trouva de sa connaissance n'avait intercédé pour lui.

Une autre fois, il a été ramené dans une charette à onze heures du soir, couvert de blessures et de contusions, ayant deux doigts écrasés, en un tel état qu'il en est resté malade l'espace de trois mois, pendant lequel temps il a été pansé assidûment par le sieur Morin, chirurgien juré de cette ville. Il n'a pu rendre compte de la cause de cet accident qu'il a dit lui être arrivé dans les allées de Vincennes.

Il adopte toutes les illusions qui viennent occuper son esprit dérangé. Il se plaint perpétuellement d'attentats formés contre lui et est parvenu à un tel degré de folie qu'il se dit souverain d'une principauté par delà Constantinople, et débite des contes assortis à cette folle chimère. Il n'y a plus aucun bons moments dans lesquels il fasse paraitre une étincelle de bon sens.

En cet état, la Suppliante, qui a intérêt à la conservation dudit sieur son époux, a recours à vous.

[...]


L'Assemblée des parents et amis

9 décembre 1750

Participants:
 

[confirment les plaintes de la Suppliantes, sont d'avis d'interdire Chassepot de Beaumont, de nommer son épouse curatrice ainsi que tutrice de sa fille mineure, et d'enfermer Chassepot à Charenton]


L'Interrogatoire

28 décembre 1750, à Charenton

[...]

Demandé comment il s'appelle

A dit se nommer Louis Chassepot de Beaumont

Demandé quel âge il a

A dit qu'il est sur sa cinquante-deuxième année passée

Demandé s'il est marié

A dit oui, en troisièmes noces. Il ya eu un quiproquo. Une mère ne peut pas être mère et marraine. Qu'il a épousé Mademoiselle Françoise d'Ausun en premières noces. Qu'il y a eu cinq témoins, et une dame dont on il ne sait pas le nom. Que le contrat, le vrai contrat de mariage, a été fait chez Michelin. Que le prêtre lui a demandé s'il serait fidèle a Madame Chassepot de beaumont. Qu'il a eu une petite exortation [sic. Hésitation?], en sorte qu'il a laissé faire la méprise. Qu'il n'a rien à se reprocher. Que le prêtre s'est mépris. Qu'il s'est marié en deuxièmes noces. Qu'il a une fille, et en troisième noces. Que le mariage est nul. Qu'il n'a vu cette femme que deux jours. Qu'on l'a apparemment enlevée. Qu'il ne l'a point vue depuis huit ans. Qu'elle s'appelle Mademoiselle Bodelot. Que cela est nul suivant les lois de l'Eglise. Qu'il demeure avec la mère de Mademoiselle Bodelot. Qu'il y a eu de faux parents. Qu'il y a une dame qui loge avec lui dont il ne sait le nom, et d'autres personnes qui se disent ses parents.

Demandé s'il n'y a point des moines qui soient ses ennemis

A dit que non. Qu'il ne voit personne. Que des prêtres le menaçaient de lui donner des fricassées d'eglise. Qu'ils chantent comme ils veulent, qui [sic] veulent l'empoisonner. Que les prêtres de province sont tous contre le diocèse de Paris.

Demandé si un jour on ne l'a pas ramené blessé chez lui et d'où il venait

A dit qu'il venait de Vincennes. Qu'il fit un faux pas et qu'un fiacre lui avait écrasé les doigts. Qu'il vint en charette et qu'il arriva tout doucement à pied à sept heures et demi du soir.

Demandé s'il n'a point de charge, ou de gouvernement

A dit que non

Demandé s'il n'a point de principauté à Constantinople

A dit qu'il ne renonce à rien. Qu'il est français mais qu'il n'a aucune principauté.

Demandé s'il n'a pas eu quelque maladie et si on ne lui a pas fait bien des remèdes

A dit que non

Demandé s'il n'a pas d'ennemis

A dit que c'est les enlévements de sa femme qu'il n'a point vue depuis huit ans. Qu'il a reçu une lettre il y a trois ans par laquelle on lui mande qu'elle était morte et qu'elle avait fait le tour de France. Qu'il ne l'a vue que deux jours

Demandé s'il n'a pas demandé des nouvelles de sa femme à sa mère avec laquelle il demeure

A dit que cela fait une histoire. Que les uns et les autres l'ont enlevée après en avoir joui. Qu'il n'en croit rien. Qu'elle est morte empoisonnée par des prêtres, par des moines, qui ont beaucoup de crédit en cour, qui sont de province, qui veulent détruire l'Eglise. Qu'on voulait l'envoyer à Malte. Qu'on l'a menacé du Grand Prieur

Demandé s'il a du bien et s'il le connait

A dit trois ou quatre maisons, le fief de Saint-Yon, 2200 livres sur la Ville, des rentes sur particuliers

Demandé ce qu'il fait

A dit qu'il fait des lectures. Qu'il demeure rue Saint-Gilles derrière les Minimes. Qu'il a une fille de sa seconde femme qui a neuf ans qui est fort bien élevée

Demandé comment il ne s'informe pas à la mère de sa femme des nouvelles de sadite femme

A dit que c'était à elle à se pourvoir en cour